vendredi 3 avril 2020

Seconde partie de l'érection - théâtre

(Suite et fin)

Acte 3
Alexandra, trempée, entre dans le salon et se rue sur Florent. 
ALEXANDRA
Florent ! Je ne savais pas où aller !  (Florent la repousse en arrière, de peur qu’elle sente sa virilité.) Je… Je te dérange ?
FLORENT
Ah non non, du tout ! Tu es ici chez toi ! Qu’est-ce qui t’arrive ? 
Débordante d’émotion, Alexandra se rue à nouveau sur lui. 
ALEXANDRA
Si tu savais ! Ah mais… (voyant le canapé).
FLORENT
Quoi ?
ALEXANDRA
Vous venez de baiser sur le canapé !
FLORENT
Ah euh… Le canapé… Oui, enfin, pas vraiment, je… Un peu…
ALEXANDRA
Vous venez de baiser. Vous n’attendez pas d’aller dans la chambre, vous vous sautez dessus ici. Vous êtes formidables
tous les deux. 
FLORENT
Oui, enfin euh…
ALEXANDRA
Tout à l’heure on est sortis de chez vous avec Jean-Fab, on s’est sentis tellement déprimés… On était tristes, mais tristes… de vous sentir si heureux…
FLORENT
Non mais… Faut pas croire, on a aussi nos petits tracas comme tout le monde hein…
Elle fond dans les bras de Florent et pleure. 
ALEXANDRA
Je ne peux plus, Florent ! Je ne peux plus !!
C’est alors que Léa sort de la chambre.
LÉA
Mais c’est quoi ce barouf ?… (Étonnée) Alexandra ? Mais qu’est-ce que tu fais là ?!!
FLORENT, repoussant Alexandra
Je ne sais pas du tout ! Elle vient d’arriver !
Alexandra se précipite dans les bras de Léa.
ALEXANDRA
Je me sens tellement sale… Avec Jean-Fab, on est sortis de chez vous, on s’est engueulés comme du poisson pourri…
LÉA
Mais ôte ce manteau ! Mais t’es toute trempée !
ALEXANDRA, ôtant son manteau
On s’est engueulés sur le trajet du retour, on s’est frités avec la baby sitter… Je… je vis des choses, j’aurais trop honte de vous raconter, il… Il me traite mal, si vous saviez comme il m’abime !
FLORENT
Mais non, mais…
ALEXANDRA
Si, il me détruit ! Chaque jour ! Il me dit tellement de saloperies, ce soir j’ai pleuré, pleuré… Et puis je me suis dit que je ne pouvais pas le laisser me tuer comme ça. J’ai pris des affaires, j’ai rempli mes valises et je me suis barrée…
FLORENT
Mais tu as eu raison ! 
LÉA, passant devant Florent
Bien sûr que tu as eu raison !
ALEXANDRA
Je ne savais pas où aller… J’avais envie de me jeter dans la seine…
FLORENT
Mais non, faut pas. Elle doit être très très froide en plus.
Alexandra éternue.
LÉA
T’es frigorifiée ! Déjà tu vas commencer par une bonne douche, Alexandra ! Allez !
ALEXANDRA
Je suis en bas de chez vous depuis un moment, je… je n’osais pas monter…
LÉA, la déshabillant
Donne-moi ça ! Allez, à la salle de bain ! Je vais te chercher une tenue bien chaude, t’en fais pas, je suis là ! Je vais m’occuper de toi !
ALEXANDRA, prenant Léa dans ses bras
Vous êtes des amours tous les deux ! Si je ne vous avais pas !... Léa, t’es un amour ! Florent, t’es un amour.
Léa pousse Alexandra vers la salle de bain pour l’éloigner de Florent. 
LÉA
Oui bon, ALLEZ ! À la salle de bain, tu vas te réchauffer !
Et elle quitte la pièce. Léa et Florent restent tous les deux.
LÉA, suspicieuse
Qu’est-ce qu’elle t’a dit ?
FLORENT
Mais rien ! Rien de plus. T’as vu comme elle est mal. Elle me touche quand elle est comme ça. 
LÉA
Mais quel con ce type. Mais quel con !
FLORENT
Je croyais que tu l’aimais bien.
LÉA
J’essayais de bien l’aimer. Je faisais des efforts, mais j’ai jamais pu l’encadrer. (Voyant que Florent regarde vers la salle de bain). Quoi ? 
FLORENT
Ah mais rien. Rien. 
LÉA, tapant sur son sexe
Tu vas pas continuer ! Quoi que tu imagines, ça n’arrivera pas.
FLORENT
Aïe ! Mais je n’imaginais rien du tout. 
LÉA, re-tapant sur son sexe
Que ce soit clair, ton érection, tu te la mets derrière l’oreille, elle n’existe pas, on est bien d’accord ? 
FLORENT
Oui, oui, je… Je me la mets derrière l’oreille, promis. Ça va être acrobatique. (Regardant vers son sexe) Tu arrêtes, maintenant. Tu te couches ! Coucouche panier ! Tu embêtes pas la dame !
LÉA
Elle a choisit cette nuit pour rappliquer… comme par hasard ! Ah elle a des antennes elle aussi, hein !
Alexandra réapparait, elle revient vers eux, nue sous une serviette.
ALEXANDRA
Pardon, je ne comprends rien à la douche. Je n’arrive pas à enclencher l’eau chaude… 
FLORENT, un pas vers elle
Ah oui, l’eau chaude sur cette robinetterie c’est pas simple à trouver. Je vais t’aider ! En fait pour l’eau chaude c’est le bouton de…
LÉA, le stoppant net
Reste là, mon cœur, on s’occupe de la robinetterie. On n’a pas besoin de toi.
Florent reste seul dans la pièce.
FLORENT
Ça va être long… Oh je sens que ça va être très long…
Il regarde en direction de son sexe et cogne dessus.
FLORENT
T’as compris la dame ? Tu te calmes. Tu respires calmement, tu fais des longueurs, tu fais ce que tu veux mais tu n’emmerdes plus personne, compris ? Je ne veux plus te voir. « Oui chef. » Mieux que ça ! « Oui chef ! »
Léa revient. 
LÉA
À qui tu parlais ?
FLORENT
Non, non, rien. À personne. Elle va dormir où ? Sur le convertible ?
LÉA
Eh bien oui, sur le convertible, où veux-tu qu’elle dorme ? 
FLORENT
Oui oui bien sûr… Et moi ?
LÉA
Et toi ? Mais toi dans la chambre mon amour, avec ta femme adorée, dans le grand lit, c’est bien ça que tu voulais ? Pourquoi, tu pensais à autre chose ?
FLORENT
Ah non-non, dans la chambre avec toi, c’est tout ce que je demande, c’est parfait !(Léa s’éloigne, il l’agrippe par le bras) Eh Léa, s’il te plait !(Elle revient vers lui) On fait la paix, franchement ?
Ils allaient s’embrasser quand Alexandra apparaît, dans un très ample pyjama nounours totalement ridicule, agrémenté de petits motifs ourson. Visiblement, Alexandra n’est pas ravie de porter pareil accoutrement.
ALEXANDRA
Le pyjama que tu m’as sorti, c’est bien ça ? Cet espèce de sac immonde ?
LÉA
Oui, c’est ça ! C’est pas du tout immonde, ça te va super ! C’est drôle ! Et tu vas voir c’est très chaud, très noël ! Florent, hein que c’est très bien ?
FLORENT
Oui, oui… Enfin très chaud je ne sais pas… 
ALEXANDRA 
C’est un pyjama homme j’ai l’impression.
LÉA
Pas du tout, c’est mixte ! C’est très coloré, très joyeux, c’est un déguisement aussi, ça fait pyjama ET déguisement.
FLORENT
Ah oui, c’est très très mixte dis donc.
LÉA, remontant une capuche tête d’ours sur sa tête
Et t’as vu, tu peux remonter la capuche si tu veux, c’est drôle ! Tu veux ?

ALEXANDRA 
Non merci, ça ira comme ça.
Capuche tête d’ours sur la tête, Alexandra vient s’asseoir sur le bord du canapé convertible déplié. Alexandra voit une coupe de champagne posée face à elle.
ALEXANDRA
C’était la mienne je crois.
Alexandra vide la coupe. 
ALEXANDRA
C’est un pervers narcissique. Tu en as déjà rencontré des pervers narcissiques, Léa ?
LÉA, un œil sur Florent
Oui, je crois que j’en ai approchés, oui…
ALEXANDRA
Ils peuvent être extrêmement agréables, doux, tendres… et d’un coup, sans savoir pourquoi, ils changent. Un silence, une petite phrase assassine… On dirait des adultes avec les réactions d’enfant de quatre ans ; ils aiment bien arracher les ailes des mouches sans se soucier si ça leur fait mal. Moi, il m’a arraché les ailes, il y a longtemps déjà…
FLORENT
Bon, euh… Moi je vais vous laisser entre vous, les filles…
LÉA
Ah bon pourquoi ? Non, reste. « Pervers narcissique », ça devient intéressant comme sujet je trouve. 
FLORENT
Non mais je vais vous laisser entre filles… Sur ce lit… Et laisser mon imagination partir… (Son sexe le démange son le poncho, il se gratte discrètement.) Moi je vais me coucher…
LÉA
Non-non-non ! Tu ne vas pas dans la chambre tout seul, tu restes là je te dis. 
ALEXANDRA
Les pervers-narcissiques, ils sont totalement égocentrés sur eux-mêmes…
LÉA
Totalement. 
ALEXANDRA
Polarisés sur eux-mêmes. Leur nombril, leur nombril, leur nombril, il n’y a que ça… 
LÉA
Et au dessous du nombril !
ALEXANDRA
Et au dessous du nombril, exactement ! Ils sont très touche-pipi, très auto-centrés sur leur sexe.
LÉA, à Florent
Tu entends Florent : très auto-centrés sur leur sexe...
FLORENT
Non mais je sens que potentiellement je vous gêne. J’aime pas déranger, franchement…
Alexandra remarque le Poncho de Florent.
ALEXANDRA
Mais tu as froid, Florent ? C’est quoi ce Poncho ?
FLORENT
Ce poncho ? Ah ça, c’est rien. Je voyage. J’avais très envie de voyage ce soir. D’exotisme. Je pars dans les îles, je… les plages, les vahinées… Vahinée c’est gonflé… 
ALEXANDRA
Ah d’accord.
Le portable d’Alexandra sonne. 
ALEXANDRA, sans regarder son téléphone
C’est lui. Pas la peine de regarder, il me supplie de revenir, je suis sûre. (Elle regarde) Voilà, il me supplie de revenir. Il m’abime psychologiquement, il me pourrit d’insultes, et après il fait son mielleux. (Ça bipe à nouveau) Là je suis sûr qu’il dit qu’il regrette, qu’il dit qu’il ne le fera plus, que je suis sa princesse…
LÉA
Il te dit très exactement que tu es « sa princesse » ?
ALEXANDRA
Tous les jours. Même là, je suis sûre, regarde.
LÉA, regardant le portable
Ah oui ! (À Florent) Tu ne me dis jamais que je suis ta princesse.
FLORENT
Non, je ne donne pas trop dans le « princesse », moi…
ALEXANDRA
Il commence par t’encenser. Il te dit que tu es la personne la
 plus incroyable qu’il ait jamais rencontré, la plus douée, la plus cultivée… Et la plus belle, bien sûr… Une princesse, il n’y a pas d’autre mot, personne ne t’arrive à la cheville. T’es sa divinité, son miracle. 
Léa scrolle le portable.
LÉA
Ah oui, « divinité », « miracle »… Et là encore « princesse », deux fois, t’as raison… 
ALEXANDRA
Il te place très haut, te flatte, et d’un coup, BLAM ! Un pas de travers, il dit que tu l’as extrêmement déçu. Et en quelques secondes, tu ne comprends plus rien, tu te sens perdue. T’essaie de te faire pardonner, tu fais tout pour remonter la pente, tu crois que ça va mieux, et BLAM. Tu le déçois encore. Et tu n’arrives jamais à remonter la pente… Ces gens-là, ils cherchent à capturer le rêve secret qui sommeille au fond de nous. On a tous un rêve. Enfin moi j’en avais plein, des rêves…
FLORENT
Oui eh bien il faut le quitter c’t’abruti. Tu le quittes, et zou.
ALEXANDRA, le coupant
Le propre des manipulateurs ? Ils ont des visages différents, ils peuvent être séduisants, intelligents, drôles… sympathiques…
LÉA
Enfin excuse-moi, personnellement ton Jean-Fab, il y a longtemps que je ne le trouvais ni drôle, ni sympathique. C’était même la chose la plus difficile à dire, à une amie… 
ALEXANDRA
C’est marrant parce qu’il détestait les repas chez vous. À chaque fois, votre bonne humeur, vos petites manies… il démontait tout en sortant. Chaque réflexion, chaque geste… Tiens, ce soir…
LÉA
Oui, ce soir… ?
ALEXANDRA
Il était jaloux comme jamais.
FLORENT
Jaloux ? Ah bon ?
ALEXANDRA
Il trouvait que Florent me draguait, il était obnubilé par cette idée fixe.
FLORENT
Moi, te draguer ? Ah ah, mais quel con !
ALEXANDRA, à Florent
Et il était persuadé que moi je te draguais en retour. Tu vois le niveau.
FLORENT
Ah Ah, c’est fou ça ! Quel idiot ! Mais tu entends, Léa ?
LÉA
Oui, oui, j’entends ça. Effectivement, quel idiot.
ALEXANDRA
Chaque regard, chaque réplique, il me faisait un rapport détaillé sur tout ! Et puis… il y a eu sa petite pute…
LÉA
… Sa petite pute ?
ALEXANDRA
Son étudiante… Celle qui venait soi-disant pour faire travailler sa fille… Qui était l’autre soir d’ailleurs, la baby sitter. Vous l’avez déjà vue.
FLORENT
Ah oui, comment vous l’appelez déjà ? 
ALEXANDRA
Aleksandrina.
FLORENT
Aleksandrina, c’est ça… elle est jolie.
Les deux filles le fusillent du regard en même temps.
FLORENT
Ah si quand même, elle est jolie. Elle est gaulée, elle… (Se ravisant) Non, non elle n’est pas jolie, elle n’est pas gaulée, non non. Je confonds, elle…
ALEXANDRA
Elle a vingt et un ans ! Il la connaît depuis trois ans. Il couche avec de temps en temps. Sa petite pute russe. Et pire que ça, elle a habité six mois chez nous… Et j’ai accepté ça.
LÉA
La jeune fille au pair ? On parle bien de celle qu’on connaît ?
FLORENT
Il couchait avec… ? On parle bien de Jean-Fab ??

ALEXANDRA
Il a réussit à me faire accepter ça. J’étais tellement… je me détestais tellement, j’ai laissé faire… Parfois c’est arrivé qu’il la baise devant moi même…
LÉA, indignée
Mais c’est dégueulasse !
ALEXANDRA
Je te jure ! J’ai vécu un enfer… Un enfer !!
Florent se gratte l’entrejambe, visiblement toujours enclin à la démangeaison.
FLORENT
Bon moi je ne tiens plus. (Il se force à bailler) Tiens, je baille, un baillement ! C’est la preuve que je ne tiens plus du tout, je vous dis bonne nuit.
LÉA
Tu vas nous chercher une tisane, mon cœur ?
ALEXANDRA
Ou un truc alcoolisé, tu as ? 
FLORENT
Vodka Smirnoff ?
ALEXANDRA
Non, pas Smirnoff…
FLORENT
Oui pas Smirnoff, pardon t’as raison.
LÉA
Tisanes, deux tisanes, s’il te plait. 
ALEXANDRA
Si ! Ramène la vodka aussi, merci.
LÉA
Alors  moi aussi ! Vodka ! Très bien !
FLORENT
OK mais c’est mon dernier service, hein. Après il faut vraiment que je rentre, j’ai eu une dure journée. Très très dure…
Florent s’éloigne sous le regard d’Alexandra.
ALEXANDRA
Il est gentil, hein ? T’en as de la chance.
LÉA
Oui, il est serviable. Bon, il faut le serrer un peu, il faut le tenir.
Mais dans l’ensemble, ça va.
ALEXANDRA
Il ne ramène pas de pute russe, lui ?
LÉA
Non, il ne ramène pas de pute russe. Il a d’autres inclinaisons, mais pas celle-là. 
Alexandra éclate en sanglots.
LÉA
Quoi ? Mais quoi ??
ALEXANDRA
Le pire, je fais ma crâneuse comme ça, mais je ne pourrais jamais le quitter… Je le déteste, mais… Mais c’est l’homme de ma vie…
LÉA
Ah non-non-non ! C’est l’homme de ta vie de quand t’étais conne, oui, mais maintenant t’es plus conne ! (Florent arrive avec son plateau) Allez ! Vodka, et après ça ira mieux !
Elles boivent et poussent un cri ensemble, et claquent leurs verres sur la table.
LÉA
Ah ça fait du bien. Ça va mieux ?
ALEXANDRA
Pas trop… 
LÉA
On recommence !
Léa ressert les deux verres. Elles boivent vite. 
LÉA
Et là ?
Alexandra rôte. 
LÉA
C’est rien, c’est pas grave. Faut que ça sorte.
ALEXANDRA
J’aimerais le quitter, je sais bien qu’il faudrait que je le quitte, mais… (Elle pleure) Jean-Fab c’est le grand amour de ma vie… 
LÉA
Mais non !
ALEXANDRA
Si. Quoi que je dise devant lui, quoi qu’il me fasse, je sais que
je l’aimerai toute ma vie…
LÉA
Mais non je te dis !
ALEXANDRA
Mais si ! 
LÉA
Bon ! Florent dégage. C’est plus grave que j’imaginais, faut que je passe à la vitesse supérieure ! Tu nous laisses s’il te  plait, j’ai plein de choses à expliquer à ma copine. Tiens, toi tu voulais aller te doucher, va te doucher, allez allez. 
FLORENT
Ah non je ne voulais pas me doucher moi…
LÉA
Oui eh bien tu vas te doucher ! À LA DOUCHE, ALLEZ ALLEZ ! Et très très froide la douche, ça te calmera.
FLORENT
Non mais…
LÉA, déterminé
Florent !
FLORENT, partant
Bon, je vais me doucher, alors… PF tu me fatigues ce soir. Bonne nuit, les filles.
ALEXANDRA
Bonne nuit, Florent…
LÉA
Très très froide hein ! (À Alexandra)Il adore ça, les douches froides ! Ça le réveille !
ALEXANDRA
Avant de dormir ?
LÉA
Oui, voilà ! C’est Florent ça, cherche pas ! 
Le portable d’Alexandra sonne dans les mains de Léa. Léa le prend et le coupe.
LÉA
Toi, ta gueule ! Je parle à ma copine. Alexandra ! Tu es une personne sensible, ce qui en matière de jugement et de relation amoureuse fausse dangereusement ta perception des choses… Ce que je veux que tu comprennes, c’est que…
Le bruit de la douche se fait entendre à côté. Léa se lève.
LÉA
Excuse-moi, deux secondes.
Léa ouvre un placard masquant le chauffe-eau.
ALEXANDRA
Tu fais quoi ?
LÉA
Rien, rien, je coupe le chauffe-eau.
Provenant de la salle de bain, un cri traverse l’appartement.
FLORENT OFF
AAAAAH ! C’EST GLACÉ !
ALEXANDRA
Qu’est-ce qu’il dit ?
LÉA
Il râle, cherche pas. Bref, je disais : tu es une fille intelligente, que j’estime depuis longtemps, tu n’est pas comme ces ennemies du couple à survaloriser la notion du célibat, non toi tu crois au couple, mais tu ne peux pas dire sérieusement que la personne avec qui tu vis tu l’aimes pour la vie. Ça n’existe pas.
ALEXANDRA
Si.
LÉA
Non, tu ne peux pas dire ça parce que c’est stupide : personne ne s’aime pour la vie. Regarde moi, j’aime Florent, Florent m’aime, mais je ne l’aime que pour les cinq minutes qui viennent, et lui ne m’aime pour les cinq minutes qui viennent... Après ? On ne sait pas, tout peut arriver. Je l’aime aujourd’hui, mais je ne sais pas si j’aimerais Florent dans une heure, dans deux heures, dans deux ans. Ça dépend à la fois de lui, de moi, de ce qu’il sera, de ce que je serai, du regard que j’aurai sur lui, et sur les autres, du regard qu’il aura sur moi, tu comprends ?… 
ALEXANDRA
Oui, mais Jean-Fab lui c’est…
LÉA
Teuteuteu ! Il n’y a pas de « oui mais Jean-Fab lui c’est…». C’est valable pour tout le monde ! Florent et moi on est ensemble depuis vingt cinq ans, Florent n’a pas à se reposer sur l’idée qu’ il est l’homme de ma vie.  Il veut que je l’aime encore demain ? Qu’il me le prouve. Et s’il ne fait rien pour, aujourd’hui, demain, après demain, s’il ne m’étonne pas, s’il n’est pas miraculeux, magique ou je ne sais quoi qui me fera un peu vibrer, sensiblement je l’aimerais moins, et chaque jour un peu moins… Jean-Fab, tu lui dis souvent qu’il est l’amour de ta vie ?
ALEXANDRA
Tout le temps.
LÉA
Et en échange, il te répond que tu es sa princesse ?
ALEXANDRA
Voilà. Tout le temps.
LÉA
Mon dieu. On n’est pas arrivés.
Le téléphone sonne à nouveau. Un nouveau texto. Léa le lit.
LÉA
Il dit : Pardon pardon pardon 
Je ne le ferai plus
Où es-tu ?
S’il te plait, princesse, s’il te plait, où es-tu ? 
Léa répond.
LÉA
« Dans ton cul ». Ah ah, et blam ! 
ALEXANDRA
« Où es-tu ?Dans ton cul ? » 
LÉA
« Dans ton cul », oui. J’ai répondu, c’est parti.
ALEXANDRA
Je ne dis jamais « dans ton cul », moi…
LÉA
Eh bien maintenant ça change. L’important, c’est de marquer une rupture nette, et de ne pas lui dire où tu es.
Un autre texto sonne, Léa le lit.
LÉA
C’est pas Alexandra.
Comment il sait que c’est pas toi ?
Un autre texto sonne.
LÉA
C’est toi, Léa ?
Ah merde, il m’a reconnu ! Comment il m’a reconnu ??
ALEXANDRA
C’est ce que je te dis, je ne dis jamais « dans ton cul » moi…
LÉA
Mais tout le monde dit « dans ton cul ». Comment tu dis « va te faire foutre » alors ?
ALEXANDRA
Ben, je dis « va te faire foutre ».
LÉA
Ah oui, c’est bien aussi. (Elle textote) Bon-je-retire-dans-ton-cul-je-dis-va-te-faire-foutre. Et j’ajoute, « signé : Alexandra, ta princesse ». Voilà ! Comme ça plus de doute, c’est toi ! T’as vu comme je gère, hop hop, situation récupérée, c’est plié ! T’es tranquille. Allez dodo !
Un bruit de texto. Léa le lit.
LÉA
« Léa, Alexandra, bougez pas j’arrive. » Pourquoi il dit qu’il arrive ?
ALEXANDRA, angoissée
Il dit qu’il arrive ?!
LÉA
Mais non ! Il peut pas dire ça, il ne sait pas que t’es ici !
ALEXANDRA
Si il dit qu’il arrive, c’est qu’il arrive !! Je ne veux pas le voir !!
Florent revient, nu avec seulement le poncho noué autour de la taille. 
FLORENT
Bon ben moi je vais me couch… Qu’est-ce qu’il se passe ?
ALEXANDRA
Jean-Fab arrive ! (Elle attrape la bouteille de vodka et boit au goulot.
FLORENT
Quoi ?? 
LÉA
Mais non ! Il dit ça il viendra pas, c’est sûr ! Alexandra va se coucher, on va tous se coucher et on va dormir. Bonne nuit, allez allez !
ALEXANDRA
J’aurais dû me jeter dans la Seine. Il va être vénère, il va vous
casser la tête.
LÉA
Mais non ! Je te promets qu’il ne viendra pas ! Allez dodo !
ALEXANDRA
Il va être comme un fou. 
LÉA
Florent, va te coucher ! Tes ridicule habillé comme ça ! Reste pas là !
FLORENT
T’aimes pas mon petit déshabillé-poncho ? 
LÉA 
VA TE COUCHER ! Mais c’est pas possible ! (Il part.) 
ALEXANDRA
Il me connaît, il le sait que je suis faible et que je vais revenir.... Pis de toute façon à mon âge je ne trouverais jamais quelqu’un d’autre… 
LÉA
Non ! Fais moi confiance, dodo. J’éteins. (Elle baisse la lumière). C’est bien comme ça ? Tu me fais confiance ? Répète après moi : il ne viendra pas.
ALEXANDRA
Il ne viendra pas.
LÉA
Qui ?
ALEXANDRA
Jean-fab.
LÉA
Est-ce qu’il va venir ?
ALEXANDRA
Non. Il ne viendra pas.
LÉA
Très bien. Allez dodo ma belle. Dodooo, tranquillement… Dodooooo…
L’ambiance devient tamisée. Alexandra est allongée dans le lit, Léa assise à ses côtés.
ALEXANDRA
Eh puis, je crois qu’il est un peu détraqué sexuellement. 
LÉA
Ah bon ?
ALEXANDRA
Oui… Il me fait peur parfois sexuellement.
LÉA
Ah bon ? C’est à dire… ? Il fait des trucs bizarres ?
Alexandra fait oui de la tête.
LÉA
Il fait des trucs très bizarres ?
Alexandra fait de grands oui de la tête.
LÉA
Raconte à tata Léa comment il fait des trucs bizarres ?
ALEXANDRA
Un jour il a voulu que je lui fasse des couilles au miel.
LÉA
… Des couilles au miel ? 
ALEXANDRA
Comme il sait que j’aime bien le miel, il voulait que je… 
LÉA
Oui, c’est bon ! J’ai compris ! Oui, non, ça va, les couilles au miel, c’est pas bien méchant. J’imaginais pire.
ALEXANDRA
Ah bon ? Tu lui fais des couilles au miel à Florent ?
LÉA
Oui, non, je ne fais pas des couilles au miel à Florent, non, je ne sais pas, je n’ai pas eu l’idée ! Ça ne s’est pas présenté ! Mais ce n’est pas la question, la question c’est que je t’ai toujours connue rieuse, déconneuse, pleine de confiance en toi, séductrice ! Forte !
ALEXANDRA
Et ?
LÉA
Et là, j’ai l’impression de causer avec une toute petite fille.... ressaisis-toi, Alex. Franchement.
ALEXANDRA
Je suis une petite fille.

LÉA
Oui mais moi aussi je suis une petite fille, mais quand même ! Bats-toi ! Résiste !
ALEXANDRA
Prouve que tu existes. 
LÉA
Jean-fab c’est fini, tu vas te trouver un mec vraiment bien et c’est reparti pour un tour, allez !
ALEXANDRA
Et tu crois que je n’ai pas essayé ? Depuis sa pute, là, je suis sorti des dizaines de fois, avec des collègues du bureau, on se fait des bars, on drague, je te jure c’est pitoyable. Tous les mecs bien ils sont pris. Tous. Ou ils veulent des gamines de vingt ans. Alors moi, à mon âge…
LÉA
Mais arrête, il est très bien ton âge ! Quarante huit ans c’est jeune !
ALEXANDRA
Quarante sept !
LÉA
Quarante sept ! Pardon !
ALEXANDRA
Non t’as raison, bientôt quarante-huit. C’est horrible. Quarante-huit, donc bientôt quarante-neuf, donc cinquante. 
LÉA
Et donc soixante, et donc soixante-dix, quatre-vingt, cent, non on ne compte pas comme ça ! Quarante-huit ans c’est jeune, je t’assure ! Regarde-moi !
ALEXANDRA, regardant Léa, peu convaincue
Oui… Enfin, pour une femme qui est heureuse en couple, oui ça va... Mais pour moi qui ne suis pas heureuse, non. Tu sais ce que m’a dit un mec une fois ?
LÉA
Non ?
ALEXANDRA
Il trouvait que j’avais une beauté un peu désespérante.
LÉA
Désespérante ? Qui t’as dit ça ?

ALEXANDRA
Un type, je ne sais plus. Je ne lui donne même pas tort. Je fais des efforts pourtant, mais… Regarde, mon front, ici. 
LÉA
Tu l’as fait ? 
ALEXANDRA
Deux fois. Mais ça ne tient pas, faut déjà que je le refasse.
LÉA
Moi, mes petites pattes d’oies. Tous les six mois. Il n’a même pas vu, Florent, il vit dans le monde des bisounours, il ne voit rien. Et les plis, là. 
ALEXANDRA
Moi j’ai fait mes jambes la semaine dernière. 
LÉA
Moi faut que je refasse le haut des fesses, mais à chaque fois je repousse, j’aime pas, ça fait mal.
Ça sonne.
ALEXANDRA
C’EST FLORENT !
LÉA
Mais non !
ALEXANDRA
Mais si ! Il est là Tu vois, je t’avais dit !
LÉA
Non non non ! On ne répond pas, on s’en fout.
Ça sonne à nouveau dans le salon, de façon énervée.
LÉA
T’inquiète ! Il se lassera avant nous.
Ça sonne à nouveau. Florent apparaît en nouant sa robe de chambre, il allume la lumière.
FLORENT
C’est lui ? C’est Jean-Fab ? Mais il vient vraiment ?? C’était pas du flan ?
LÉA
Mais éteint la lumière, toi ! On ne répond pas ! On ne bouge pas, il va se lasser. (Un temps) Ça y est, vous voyez ? Il se lasse. Qui c’est qu’avait raison ! (Elle se lève) Allez, bonne nuit, c’est passé !
Ça sonne plein de fois, et des cris montent dehors.
JEAN FAB OF
Alexandra ! T’es là ?! Alexandra !! ALEXANDRAAA ! ALEXAN-DRAAAAAA DESCENDS !
Tous les trois sont tétanisés.

RIDEAU. FIN DE L’ACTE 3.






Acte 4

Léa et Florent sont à côté de la fenêtre et regardent discrètement dehors.
FLORENT
Je le vois. On dirait qu’il a de la bave au coin des lèvres…
LÉA
Il frappe dans des poubelles. La vache, il a l’air très très énervé.
FLORENT, courant vers l’entrée
Je vais fermer à double tour. Oh putain, j’aime pas ça, j’aime pas ça !
JEAN FAB OF
Alexandra ! T’es là ?! Alexandra !!! Descend, allez ! JE SAIS QUE T’ES LÀ.
VOIX OF
Eh le gars en bas ! Tu te calmes, oui ? Tu veux qu’on descende ? Tu veux qu’on te marave la gueule ?

LÉA
Oh punaise, il excite les voisins du dessus maintenant !
ALEXANDRA
Il va réveiller tout le bâtiment. Il ne me lâchera pas. (Résignée, comme on irait à l’abattoir) Je vais me rendre, c’est le mieux… 
LÉA
MAIS NON ! Florent va descendre, il va régler ça entre hommes. Hein, Florent !
FLORENT
Ah non non, moi je ne suis qu’amour. Je ne sais pas me battre. 
LÉA
Si vas-y ! T’es un homme !
FLORENT
En sport à l’école, j’avais pris option clarinette. Je suis un vrai pacifiste, moi. J’ai voté pour la liste écolo…
JEAN-FAB OF
Alexandra ! 
LES VOIX OF
C’est pas bientôt fini  en bas ? Il est pas à la noce le viok ??
JEAN-FAB OF
J’vous parle pas, vous, j’parle à ma nana ! Alexandra ! Allez viens, princesse !!! PRINCEEESSE !
LÉA
« Princesse », ah ça, je ne supporte pas.  MOI J’Y VAIS. Je suis sur les nerfs depuis des heures, je vais me défouler sur lui.
FLORENT
QUOI ? Tu veux pas qu’on appelle les flics plutôt ? C’est beaucoup plus prudent.
LÉA
Non, je descends, je vais le détruire. (À Alexandra) Ils nous font chier ces mecs à ne pas nous laisser dormir. Il va prendre pour deux, je vais me le faire !
ALEXANDRA
Non mais il peut être très mauvais, hein. Un jour il a mordu un livreur Delivero parce qu’il avait oublié la sauce barbecue.
JEAN-FAB OF
Princesse ! PRINCESSE !

ALEXANDRA
Un autre jour, il a mordu un pittbull qui me regardait mal.
JEAN-FAB OF
Princesse ! PRINCESSE ! TU VIENS !
LÉA, sautillant sur elle-même
Je suis chaude là, je suis chaude ! Ton manteau, Alex !
FLORENT
Pourquoi tu y irais, toi ?
LÉA, déterminée, enfilant le manteau d’Alex
Parce qu’Alexandra est ma copine, parce qu’on fait du Taï Shi ensemble, du Pilate, qu’on brunche au moins une fois par semaine, quand ce n’est pas deux, et parce qu’elle me disait pas plus tard qu’hier, que j’étais une de ses trois meilleures amies. Et que ça m’a touché !
ALEXANDRA
Je t’ai dit ça moi ? C’était pour me vanter… Je n’ai qu’une seule amie. C’est toi.
Léa part. À la porte avec Florent :
LÉA
Florent ! Je reviens très vite ! AH ! Je te fais confiance avec Alex, hein ! Ton érection…
FLORENT
Mon érection, derrière l’oreille, promis j’y touche pas ! Promis ! Fais moi confiance. (Il l’embrasse) T’es mon héros. T’es mon soldat.
LÉA, guerrière
Je suis ton soldat.
Ça sonne encore plusieurs fois de façon répétitive.
LÉA
Ouh il me cherche ! T’entends comme il me cherche ! J’arrive !
Et elle part. Alexandra et Florent restent tous les deux. 
ALEXANDRA
Tu n’as pas peur ?
FLORENT
Pour Léa ? Ah non, non, si j’ai peur pour quelqu’un c’est pour lui. Elle va l’exploser.
ALEXANDRA
J’espère.
FLORENT
Et elle a raison, Léa. Il faut que tu arrêtes… 
ALEXANDRA
Que j’arrête… ?
FLORENT
De ne pas croire en toi. Ce mec est un con, non seulement il est con, mais en plus il t’aplanit.
ALEXANDRA
Il m’aplanit ?
FLORENT
Oui. Il t’écrase, te lamine. Un vrai mec bien, t’en trouvera un facilement, faut juste que tu retrouves un peu confiance en toi. 
ALEXANDRA
Il y a longtemps que je n’ai plus confiance en toi. (Profonde) C’est court, une vie de femme. Parfois, je vous envie, vous les garçons…
FLORENT
On a aussi nos petits problèmes tu sais…
Il se gratte. Un silence. 
ALEXANDRA
Puisqu’on a deux minutes tous les deux… Je voulais te remercier au fait…
FLORENT
Me remercier ? Pourquoi ?
ALEXANDRA
Pour cet été… 
FLORENT
Me remercier pour cet été ? Ah si tu veux… Euh, je ne sais plus du tout pourquoi…
ALEXANDRA
Mais si, tu sais…
FLORENT
Ah non…
ALEXANDRA
Mais si… La semaine à Collioure, quand vous êtes passés nous voir avec Léa… Tu sais, la dernière soirée…
FLORENT
Ah oui, cette soirée-là…
ALEXANDRA
Tu aurais pu en profiter. J’étais soûle… Jean-Fab avait emmené Léa voir je ne sais plus quelle expo peinture à Biarritz en nocturne… 
FLORENT
Ah oui… Les passionnés de l’art…
ALEXANDRA
Nous on était que tous les deux... Tu as été un vrai gentleman. 
FLORENT
Non, c’est… C’est normal…
ALEXANDRA
Si si. J’étais si désespérée… Jean-Fab est si désespérant, souvent… J’avais vraiment envie que tu me fasses l’amour ce soir là, tu te rappelles. C’est pas faute d’avoir insisté, je me souviens…
FLORENT
Oui, tu as un petit peu insisté, c’est vrai… 
ALEXANDRA
J’ai le rosé affectueux. J’avais le rosé très affectueux ce soir-là.
FLORENT
Oui, je me souviens très exactement de ta… Dangerosité… Ce soir là…
ALEXANDRA
Sur le moment, je t’en ai voulu de ne pas céder… Mais c’était bien de refuser. Ça m’a interrogé, ça m’a fait croire au couple… Merci pour ça.
FLORENT
Non, c’est rien… 
ALEXANDRA
Si, merci, vraiment.
FLORENT
Non non, c’est vraiment rien…
Un silence.
FLORENT
Tu ne te souviens vraiment pas ?
ALEXANDRA
Si je ne me souviens vraiment pas de quoi ?

FLORENT
Non, rien…
ALEXANDRA
Eh bien si, dis !
FLORENT
Ben, ce soir-là, j’ai refusé de coucher avec toi, oui… Puis après, comme tu étais cuite, je t’ai portée…
ALEXANDRA
Ah ? Tu m’as portée dans ma chambre ? C’est mignon…
FLORENT
Exactement… et là, dans la chambre… (Il se gratte le menton, de plus en plus gêné). J’avais vu beaucoup de rosé affectueux moi aussi. J’en avais bu trop…
ALEXANDRA
Oui ? Et là, dans la chambre… ?
FLORENT
Comment te dire… Eh bien là, sur le tapis au pied du lit, très exactement, je t’ai… Enfin, on a…
ALEXANDRA
On a… ?
FLORENT
Mais je précises que tu voulais, hein… C’était même très exactement à ta demande, moi je disais « non non », et toi tu disais « si, si »… Et au bout d’un moment c’était presque mal poli de te refuser, c’était pas très poli, alors euh… Alors euh…
ALEXANDRA, amusée
On a… Non ?
FLORENT
Si.
ALEXANDRA, amusée
MAIS NON !
FLORENT
Si si. Mais c’est le rosé ça, c’est traitre. Le rosé faut pas. Je ne touche plus au rosé moi.
ALEXANDRA
Tu me fais marcher. Je ne me souviens absolument de rien. Tu es sûr-sûr ?

FLORENT
Ah oui, sûr sûr. Ça je n’ai pas oublié.
ALEXANDRA
Je ne me rappelle pas du tout.
FLORENT
Oui je vois ça. C’est même un peu vexant. 
ALEXANDRA
Ça a duré longtemps ?
FLORENT
Ça a duré normal.
ALEXANDRA
Normal ? Non, je me souviendrai…
FLORENT
D’habitude on se souviens…
ALEXANDRA
Non, tu me fais marcher, hein ?…
Un silence.
FLORENT
Mais oui, je plaisante ! 
ALEXANDRA
Idiot, va ! Et moi je t’ai cru !
FLORENT
Ah ah ! Tu nous imagines, tous les deux…
ALEXANDRA
Sur le tapis au pied du lit, en plus. T’es bête ! Et moi je marche ! Sur le tapis quelle horreur.
FLORENT
Moi aussi ! Quelle horreur ! C’est dur un tapis ! Ça fait mal aux genoux en plus.
ALEXANDRA
Et c’est bourré de microbes, de staphylocoques ! 
FLORENT
Oui, de staphylocoques ! Des petites bêtes partout ! Ah ah, je dis ça, pour te détendre un peu… Je te préfère quand tu rigoles. T’es belle comme ça.
ALEXANDRA
PF. N’importe quoi !
FLORENT
Ah si ! T’es super belle. Tu vas te trouver un super mec, crois-moi, et vite fait. Tu verras ! 
ALEXANDRA
Tu parles. Je suis vieille maintenant… Je ne plais plus… Je ne sais plus faire…
FLORENT
Mais arrête avec ça !
ALEXANDRA
Mais je t’assure !
FLORENT
Mais arrête !
Florent sourit. On sent qu’il a une idée.
FLORENT
Donne-moi ta main.
ALEXANDRA
Pourquoi tu souris comme ça ?
FLORENT
Donne-moi ta main je te dis.
ALEXANDRA
Tiens.
FLORENT
Je veux juste te montrer quelque chose. C’est entre amis, hein. Ce n’est pas une question d’âge, c’est juste une question de… c’est toi, tout simplement. Tu crois vraiment que tu ne plais plus à personne ?
Et Florent pose sa main à elle en direction de son sexe. Alexandra touche. Elle fait des yeux ronds comme deux billes. Elle touche encore, elle palpe. 
ALEXANDRA
Non ?
FLORENT
Si.
ALEXANDRA
Non tu déconnes ! Mais j’ai rien fait. Je suis moche, je suis coiffée n’importe comment, dans un pyjama ridicule…
FLORENT
Et tu vois… Même coiffée n’importe comment, dans un pyjama ridicule… Tu fais ça. 
ALEXANDRA
Non ?
FLORENT
Si, je te dis.
ALEXANDRA
Oh c’est super gentil ça… Je… (Elle cherche les mots).  Tu ne pouvais pas me faire plus plaisir. 
C’est alors que Jean-Fab apparaît, la tête de travers. Léa le tient par l’oreille.
LÉA
Attention, qui voilà ! Regardez qui je ramène…
JEAN-FAB
Non mais arrête ! Tu me fais mal ! Léa ! 
LÉA
Il a beaucoup insisté pour venir te dire quelque chose, Alex. 
JEAN-FAB
J’ai pas du tout insisté ! C’est elle qui… C’est une folle, elle me frappe ! Je suis sensible des oreilles, Léa arrête !
FLORENT
Ah ! Et qu’est-ce qu’il veut nous dire, le pervers narcissique ?
JEAN-FAB
Alors ce que je voulais te dire, c’est que… Alors Alexandra pardon… Tu ne vas pas le croire mais je t’aime, et je sais que je ne sais pas toujours très bien t’aimer et que…
LÉA
Et que tu regrettes…
JEAN-FAB
… et que je regrette du fond du cœur mon comportement… je regrette ce que je t’ai fait vivre avec Aleksandrina. C’est que j’ai été un enfant battu et…
LÉA
On a dit que tu ne te victimisais pas…
JEAN-FAB
… Oui ça n’excuse en rien, et je veux que tu saches que t’es ma princesse et…
Au mot « princesse », Léa lève la main, Jen-Fab prend peur de se prendre une baffe.
JEAN-FAB
Non, pas princesse, pardon, pardon ! Je voulais dire que t’es une femme que je respecte beaucoup et je comprends que je n’ai pas eu un comportement approprié et je te demande de me pardonner, même si je sais que tu ne me pardonneras pas et que je m’en veux terriblement…
Alexandra s’avance vers lui…
ALEXANDRA
Je sais qu’au fond de toi tu ne penses pas ce que tu dis… Parce que tu es… ?
JEAN-FAB
Parce que je suis… ?
ALEXANDRA
… Une vraie petite merde sur patte de rien du tout.
JEAN-FAB
Une vraie petite merde de rien du tout. C’est bon là, je peux y aller ?
ALEXANDRA
Je peux te donner une baffe ?
JEAN-FAB
Euh…
ALEXANDRA
Ça me ferait super plaisir. S’il te plait !
JEAN-FAB
Bon… mais une seule, alors… 
ALEXANDRA
Une bonne baffe, au nom de toutes les femmes…
JEAN-FAB
De toutes ? Ça fait beaucoup de femmes quand même…
ALEXANDRA
À trois… Une… (Jean-Fab se crispe) Deuuuux… (Jean-Fab se crispe de plus en plus…) Troiiiis… (Jean-Fab est très tendu.)
Rien ne se passe.
JEAN-FAB
Oui ? C’est maintenant la baffe ?
ALEXANDRA
Tu crois vraiment que je vais te gifler ? Regarde-toi, on dirait un petit garçon. T’es pitoyable.
JEAN-FAB
Mais c’est elle. Elle me tape.
ALEXANDRA
Allez va-t-en. 
JEAN-FAB
C’est vrai ? Je peux y aller ?
ALEXANDRA, insistante
DÉGAGE, JE TE DIS ! 
Et Jean-Fab part en courant. 
LÉA
Eh, et Jean-Fab ! Tu me donneras ta recette au miel, hein ! 
FLORENT
Et à charge de revanche ! 
Ils éclatent de rire, Léa referme la porte.
ALEXANDRA
Ah ah ! Alors ? Qu’est-ce qu’il a dit en bas ?
LÉA
Pas grand chose. Il a chialé. Il s’est senti con. Il s’est excusé, il en était même touchant. On aurait dit un gamin, en fait…
ALEXANDRA
Un gamin de quatre ans dans un corps d’adulte.
LÉA
Tu le quittes vraiment, on est bien d’accord ?
ALEXANDRA
Bien sûr, je le quitte. Et je suis décidée, je vais essayer de me trouver un homme. Un homme bien. Je plais ! Je peux encore plaire, je suis sûre !

LÉA
Mais j’en suis sûre aussi ! (À Florent) Et toi ? Toujours debout ?
FLORENT
Toujours. Mais ça tire à sa fin, là…
LÉA
Oui, Florent était un peu tendu ce soir…
ALEXANDRA
On était tous tendus.
FLORENT
Moi peut être un peu plus que tout le monde…
ALEXANDRA
Bon moi, je vais vous laisser…
LÉA
Non, non, toi tu restes là ! Tu vas dormir sur le canapé !
ALEXANDRA
Non, il fait jour, je vais acheter des croissants et je vais aller voir ma mère. Ça lui fera plaisir, ça fait tellement longtemps... Et puis dans l’après midi, j’irai chercher toutes mes affaires chez Jean-Fab. Et il faudra que je pense à moi, que je réfléchisse où je vais aller habiter… 
LÉA
Mais l’appart où vous vivez… Il n’était pas à toi ?
ALEXANDRA
Ah mais si c’est vrai… Ah mais oui ! Je peux le foutre à la porte tu crois ? (Ses yeux s’émerveillent) Mais oui, je vais le foutre à la porte ce petit pervers narcissique... Ah mais c’est cool ça.
FLORENT
Si t’as besoin de bras pour ton déménagement…
LÉA
Et pour balancer quelques baffes…
ALEXANDRA
Je me sens gonflée à bloc. 
LÉA
Ça fait plaisir à voir.
ALEXANDRA
Je vais me changer, par contre…

LÉA
Non non, garde, c’est chaud ! Prend mon manteau par dessus ! Je mettrais tes habits dans le sèche linge… et tu récupéreras tout ça plus tard !
ALEXANDRA
Merci pour tout. Vous êtes géniaux !
LÉA
T’es géniale aussi !
ALEXANDRA
Oui, je suis géniale…
Alexandra les embrasse. Et, à Florent :
ALEXANDRA
Et merci, Florent. T’as été génial.
Et elle part. Florent referme la porte derrière elle.
Léa et Florent restent dans l’appartement. Il fait jour dehors. 
LÉA
Pourquoi elle dit que t’as été génial ? 
FLORENT
Mais je ne sais pas. 
LÉA 
C’est toi qui a été lui défoncer sa tête à l’autre abruti ?
FLORENT
Non, c’est toi. Elle a dit ça comme ça… On a été géniaux elle voulait dire… 
LÉA
Tiens regarde.
Dehors, le jour se lève. Une lumière les éclaire.
FLORENT
C’est beau… J’aime bien le matin. 
LÉA
La neige n’a pas tenue… Je me sens fatiguée de cette soirée… On va dormir ?
FLORENT
Et si je te fais un petit dej au lit, ça te dit ? Comme quand on était jeunes, beaux, et amoureux… 
LÉA
Je crois me souvenir de cette période. C’était il y a longtemps.
FLORENT
C’était il n‘y a pas si longtemps…
LÉA
OK pour le petit déj. Dans notre chambre ? 
FLORENT
Ou ici, le lit est défait… Dans le salon, ce sera plus royal, non ? 

RIDEAU. FIN DE L’ACTE 4.





Acte 5

Léa et Florent sont assis dans le lit déplié, en plein milieu du salon. Le plateau de petit déjeuner est sur eux.
LÉA
Pourquoi on ne fait pas ça plus souvent ? 
FLORENT
Se réconcilier après les engueulades ? Mais on fait ça tout le temps.
LÉA, s’étirant
T’as raison. Il faut qu’on s’engueule plus souvent… Les réconciliations, c’est ce que je préfère. (Un temps. Florent pose le plateau sur le côté) J’ai été un peu chiante, ce soir, hein ? 
FLORENT
Un peu. Mais moi aussi, à ma façon.
LÉA
Je crois que j’ai eu peur… C’est de plus en plus compliqué d’être une femme, tu sais…
FLORENT
Ce n’était pas simple d’être un homme non plus, ce soir… Léa ? Et tu veux savoir la meilleure ?
LÉA
Oui ?
FLORENT
Je crois que tu vas être contente. Ça y est. On dirait, enfin je ne suis pas sûr, mais il me semble que ça doit faire plus ou moins huit heures... 
LÉA
Ah bon ?
FLORENT
Eh oui.
LÉA
Eh ça y est… Plus rien ?
FLORENT
Plus rien du tout.
Elle regarde sous les draps.
LÉA
Ah la la oui, plus rien du tout.
FLORENT
Ça nous fait des vacances. Contente ?
LÉA, elle souffle
Oui. Enfn, c’en est presque insultant. 
FLORENT
Non, non, il ne faut pas le voir comme ça, au contraire… (La lumière se baisse dans la pièce) À partir de maintenant… Tout est possible. Je veux dire que quoi qu’il arrive maintenant…
LÉA
… J’en serais la seule tenue pour entièrement responsable ?
FLORENT
Exactement. Mais tu es une femme de responsabilité, n’est-ce pas ?
LÉA
J’espère…
Léa est collée contre lui et l’embrasse…
LÉA
On va savoir ça tout de suite…
Et tous deux, doucement, se glissent sous les draps… La lumière s’obscurcit… Ils partent tous les deux dans un grand éclat de rire…


RIDEAU.

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