Une nouvelle.
Premier jet, je vous montre. Allez.
Peggy-Anne
C’est une bonne rieuse. Elle s’appelle Peggy-Anne. Peggy-Anne a une belle quarantaine, qu’elle s’efforce de ne pas laisser paraître.
Elle se penche vers le comptoir.
- Et ce modèle-ci, elle demande. Il est bien ? Vous le conseilleriez à une cliente novice ?
- Très bon choix, ce modèle est très apprécié. Je n’ai eu que de bon retour dessus, lui répond le vendeur du Love Store.
- J’aime bien sa couleur. C’est assez chic.
- Le violet est très tendance. Et au touché, il est d’une finition très soyeuse, et son diamètre est…
- Très bien, je vous prendre ce modèle-là, le coupe Peggy-Anne qui n’a pas besoin de plus de détails. Elle a arrêté son choix. Et il est à quel prix ?
- Alors ce modèle-ci est à… Pardon, je vous l’emprunte deux secondes, je regarde… Il est à quarante cinq euros, et les piles sont livrées avec.
- Parfait, je le prends.
Elle regarde le vendeur, sa peau métisse ne la laisse pas indifférente. Elle se risque même à une confidence.
- En vérité, je serais plutôt en âge de me trouver un homme qui me fera un enfant, mais bon, en attendant de le trouver, hein…
- … en attendant, il n’y a pas de mal à se faire du bien, comme je dis toujours.
- Exactement, elle sourit en le regardant droit dans les yeux.
Peggy-Anne sort sa carte bleue et règle son achat.
- Un petit paquet cadeau ? demande le vendeur, avec le genre de sourire qu’on ne devrait pas adresser à une femme célibataire.
- Pas la peine, merci, elle répond.
- Comme vous voulez, madame.
- Mademoiselle, elle rectifie.
- Mademoiselle, c’est ce que je voulais dire. Excusez-moi si j’ai été maladroit. Et voilà le petit paquet. Très bonne soirée mademoiselle, et au plaisir de vous revoir chez nous.
Et il sourit à nouveau, décidément il faut qu’il arrête. Peggy-Anne s’éloigne avec son paquet, elle fait quelque pas mais déjà se stoppe. Elle revient vers lui en relevant une mèche de cheveux qui lui masquait ses yeux clairs.
- Pardon, je peux vous demander votre prénom ?
- Je m’appelle Lewis, mademoiselle.
- Comme je vous disais, je suis dans une période de ma vie où ce que je cherche vraiment, c’est trouver un homme pour essayer de construire quelque chose… Et… Vous allez dire que c’est idiot, mais je me demandais si…
- Désolé, je vous coupe tout de suite. Je suis dans une relation stable et sans équivoque, j’ai un enfant en bas âge et je mets un point d’honneur à n’entretenir aucune relation avec nos...
- C’est bon, j’ai compris.
Si Peggy-Anne comprend vite que le vent n’est pas favorable, pourtant elle repart à l’attaque. Elle s’approche un peu plus, et baisse le ton de sa voix.
- Et, sans vouloir insister… une folie, juste me faire un enfant comme ça, sans réfléchir, sans rien dire à personne, derrière ce grand rideau rouge là, par exemple, tout de suite ?
Il fait non de la tête. Il fait non de la tête comme si ça le peinait réellement.
- C’est très gentil à vous de me proposer, mais je suis obligé de décliner, j’ai ma caisse à tenir, et puis j’ai une éthique et…
- Oh ça va, tout de suite, les grands mots… L’éthique…
Peggy n’insiste plus. Ses yeux ne savent pas où se poser. C’est un peu difficile de partir, comme ça, sur un échec. Ses yeux se posent sur le sac contenant son achat.
- Oh, à propos d’éthique, je ne vous ai pas demandé... Ce que je viens d’acheter, je n’ai pas regarder composition, il n’y a aucun risque allergogène, bien-sûr ?
- Ah non, aucun. On n’a jamais eu de souci avec toutes nos clientes…
- C’est qu’avec tous ces perturbateurs endocriniens, j’ai lu un article comme quoi certains SexToys contenaient des phtalates.
- Des phtalates ?
- Des substances chimiques généralement utilisées dans la fabrication de plastiques souples, dont les SexToys.
- Ah, je ne sais pas. Vous êtes sujette à allergie ?
- Disons que je peux être très sensible.
- Si vous voulez, on peut le défaire l’appareil de son emballage et vous le coincez dans votre aisselle deux minutes, pour le tester.
- Pour le tester ?
- Pour tester si vous êtes réactive. C’est une cliente qui a fait ça une fois devant moi, pour voir si elle n’avait pas de réaction cutanée.
- Et ?
- Elle n’en a eu aucune, mais pas sécurité elle a préféré repartir aussi avec des préservatifs verts, les Green-plaisir que j’ai sur ce présentoir là.
- Pour… ?
- Ce sont des préservatifs lubrifiés garantis sans paraben ni nonxyphénol. Avec eux, vous ne risquez aucune allergie, c’est totalement safe.
- Ah ? Et je… Je n’ai pas compris ?…
- Eh bien vous glissez dessus l’appareil un préservatif, ainsi vous vous donnez du plaisir autant que vous voulez tout en ayant la garanti d’être totalement protégée. C’est ce que je peux vous proposer de mieux. C’est l’idéal pour être dans un vrai climat de confiance…
- Ah d’accord. Je mets un préservatif comme si je… Ah oui, pas bête. Je vais vous prendre deux boites de ces préservatifs verts, alors.
- Deux boites. Dix-huit euros, s’il vous plait.
- Tenez.
- Et merci à vous. Je vous souhaite une très belle fin de soirée, mademoiselle… et au plaisir de vous revoir.
- Merci. Au revoir.
Et Peggy-Anne pousse la porte du LoveStore, et elle se laisse emporter par le mouvement de la rue. Il fait un peu frais, ce soir. C’est l’automne qui recule et l’hiver qui commence à mordre. Novembre n’est pas le mois préféré des célibataires, il ne sera jamais celui des femmes qui rentrent chez elles un peu trop tôt, un samedi en fin de journée.
Soudain, comme par magie, tout l’éclairage public de la rue s’illumine devant Peggy-Anne. Alors elle s’émerveille un instant, puis elle se dit qu’il doit être dix-huit heures pile, et elle regarde son téléphone portable. Effectivement, il est dix-huit heures pile.
Peggy-Anne sourit en accélérant le pas. Quelle cruauté, la vie, elle pense. Heureusement qu’elle est de bonne composition. Parfois, se dit-elle, il y a des journées où on aimerait juste rencontrer un homme qui se glisserait dans notre quotidien, qui mettrait le wild dans notre vie et nous ferait l’amour toute la nuit, et nous ferait un enfant… Au lieu de ça, on est là, on traverse le boulevard de Strasbourg d’un pas faussement pressé, en tenant dans son sac un SexToy et vingt quatre préservatifs garantis sans paraben ni nonxyphénol…
J’aime bien :-)
RépondreSupprimerHâte que ce recueil soit entre nos mains 😉
RépondreSupprimer